Retrouvez ici l’intégralité du carnet de bord du Réseau Jeunes qui a eu lieu à Sens du 24 au 28 octobre 2017.
Jour 1
Il est 16h30, gare de Sens. Sous un ciel un peu gris, les Marseillais arrivent. « Et les gens de Douai ? Ils ont du retard et seront là en même temps que Roubaix, on va devoir organiser une rotation en plus ». Patrick, Marwan, Morgan et Dylan accueillent les groupes, les orientent vers les minibus, direction le lycée de la ville. Tout le monde sourit, on sent la joie de se retrouver pour certains, se rencontrer pour d’autres. La 7e édition du Réseau Jeunes, organisée par la Fédération nationale des centres sociaux va démarrer dans quelques minutes. 140 jeunes de 16 à 25 ans et leurs animateurs, 26 centres sociaux de toute la France se retrouvent cette année sur le thème « Le sens des campagnes et des villes ». Au programme, des échanges sur les représentations que portent les habitants sur les jeunes et la jeunesse, mais aussi sur les perceptions et le vécu des jeunes en ville et dans les campagnes. Mais ça, ce sera pour les jours à venir.
Allez, la rencontre démarre. Dans le gymnase du lycée, Benjamin et Juliette, de la FCSF ouvrent le bal. Le réseau est un peu à leur image. Il y a les anciens, comme Benjamin, ceux qui ont déjà « fait » plusieurs réseaux jeunes, et les jeunes, comme Juliette, qui découvrent le réseau pour la première fois. Très vite, après l’accueil par les animateurs du centre social et les jeunes de la ville de Sens, place aux jeux d’inclusion, pour commencer à se connaître, voir d’où l’on vient… La bonne humeur s’installe vite. Ça rigole, et les groupes commencent à se mêler. Toute la première soirée est d’ailleurs placée sous le signe de la rencontre, chacun se laisse prendre au jeu. Le boulot de préparation en amont entre les animateurs des centres et au sein de chaque centre social porte ses fruits. Et l’organisation est à la hauteur. Il faut dire que les équipes des deux centres sociaux de Sens et le groupe de jeunes sont mobilisés depuis plusieurs mois. « On a de la fierté à accueillir le réseau, explique Mathieu, animateur au centre social des chaillots. Notre centre social participe depuis 5 ans, et on a eu envie d’aller plus loin dans notre engagement, en proposant d’organiser cette édition. Ça a du sens dans notre démarche, avec les jeunes ».
Pendant la soirée, alors que d’autres jeux se déroulent pour renforcer la connaissance entre jeunes, en coulisses, des animateurs inscrivent, d’une belle écriture calligraphiée, des expressions sur de grands panneaux. D’autres préparent de grandes feuilles avec des actions de solidarité auxquelles s’inscrire. Mais, chut, c’est pour demain.
A suivre…
Jour 2
Deuxième jour du Réseau Jeunes. Suite de notre reportage au cœur de ce rassemblement.
Aujourd’hui, on entre dans le vif du sujet. Au cœur de la journée, les représentations ou les perceptions de la jeunesse et des jeunes des villes et des campagnes. Et on ne va pas en parler qu’entre nous.
La journée va se passer hors les murs cet après-midi, à la rencontre des habitants de la ville. Mais pour l’instant, les centres se réunissent et commencent à discuter autour de plusieurs questions : « comment tu te perçois, en tant que jeune ? », « comment tu penses que les autres te voient ? » Le débat s’engage tout de suite dans les petits groupes de 6 et les réponses fusent : « quand j’entends le mot campagne, je pense à la ferme », « dans les quartiers, les filles sont inexistantes », chacun se revendique l’esprit de famille : « Dans mon quartier, c’est une famille », « Les jeunes des campagnes sont plus famille et suivent plus leurs parents », mais au final se trouvent quelques points communs : « les autres ont des stéréotypes sur les jeunes de quartier, mais nous on en a sur d’autres personnes », « ville campagne, on est tous les mêmes, c’est juste l’environnement qui change ».
La journée se poursuit par un petit briefing des amis d’Engrenage. Les jeunes vont devenir des « porteurs des paroles ». Le concept : demander aux Senonais de compléter cette phrase : « être jeune aujourd’hui, c’est…. », dialoguer avec eux, et retranscrire leurs témoignages sur des grands panneaux affichés dans l’espace public. C’est mêlés d’appréhension et d’enthousiasme que les jeunes se lancent. Le contact est finalement assez facile, et le dialogue s’engage entre les jeunes et les habitants de tous âges. « C’était un temps formateur, qui nous a donné des idées pour mettre en place ce même dispositif d’animation ensuite chez nous, explique Rudy, animateur au centre social de Sain-Jean-de-Braye, en fin de journée. Ça permet aux jeunes de prendre confiance en eux, et d’engager un échange avec des inconnus Une approche parfaite sur le fond et sur la forme ».
Sur le chemin, des « défis selfies » sont organisés. Jeunes et animateurs doivent se prendre en selfie avec des animaux dans le parc du Moulin à Tan, se prendre en photo au club de Canoe-Kayak, réussir à mettre 30 pieds sur un lampadaire et en faire un cliché… De quoi pimenter le (long) chemin parcouru dans Sens ! De retour au lycée, place au dévidoir : un temps où les jeunes partagent leurs impressions au sortir de la rencontre avec les habitants.
Ce soir c’est foot en salle, jeux collectifs et détente pour récupérer de cette journée marathon !
A demain….
Jour 3
Troisième jour du Réseau Jeunes. Suite de notre reportage au cœur de ce rassemblement.
Au programme aujourd’hui : débriefing de la veille et actions de solidarité.
Après un court jeu d’inclusion, les jeunes sont invités à prendre connaissance des témoignages des habitants recueillis par les autres « porteurs de paroles » (cf l’article d’hier « Jeunes :le sens de la parole« ), disposés sur de grands panneaux colorés dans les différentes salles du lycée de Sens. Puis, par groupe, ils discutent de ce qui les a marqué, ce qu’ils retiennent, quels échos ça fait avec ce qu’ils vivent. Les premières impressions sortent spontanément : « y’en a ce qu’ils disent franchement c’est méchant » puis mènent vers d’autres débats, les problèmes « de thunes et d’emploi » notamment. Place maintenant à un petit jeu de rôle : « si tu étais maire de ta ville, que ferais-tu pour les jeunes? » Les jeunes sont inspirés: « Je ferai construire des stades sportifs », « moi je légaliserai le cannabis pour qu’il n’y ait plus de dealers, » « j’embaucherai plus de profs pour un meilleur accompagnement des élèves. » Vient ensuite le temps de la préparation pour la restitution des travaux du lendemain. Chaque groupe présentera devant les 180 jeunes, les animateurs, des habitants et des élus le fruit de leur travail de la semaine sous la forme – originale – de leur choix.
L’après-midi est placée sous le signe de l’action. C’est dans la joie, la bonne humeur et sous le soleil, que les jeunes partent donner un coup de main à des structures locales. Tandis que les uns jardinent sur les espaces verts du quartier Champs-Plaisants, les autres ramassent des détritus en canoë le long de l’Yonne ou repeignent la salle à manger de l’EHPAD. Des petites actions pleines de sens qui ont permis à plusieurs jeunes de se « sentir utiles. »A plusieurs, on arrive à faire des meilleures choses que tout seul » rapporte Lucas, 16 ans, de Corbigny dans la Nièvre. Camelia, de Yutz dans le Nord-Est, semble sur la même longueur d’onde : « c’était bien parce qu’on était solidaires tous ensemble, le fait d’être en équipe ça motive. » Pour Maimouna, 20 ans de Poitiers, « ce fut une journée très intéressante mais j’aurais aimé faire plus. » Cyndelle, Calaisienne de 16 ans, a trouvé l’action importante pour « aider les autres à avoir ce que nous on a. »
Ce soir, le lycée se transforme en « Sens Boyard, » jeu collectif organisé par le centre social de Poitiers. Épreuves sportives, dégustation à l’aveugle, Quizz, mimes, blind test …. Sens’ations garanties ! Et maintenant, une bonne nuit de sommeil bien méritée pour tout le monde avant d’entamer la dernière journée qui s’annonce riche en émotions !
Jour 4
Réseau jeunes, 4e jour. Toute la matinée est consacrée à la préparation d’un temps fort du réseau : une rencontre à la salle des fêtes avec des élus, acteurs associatifs et habitants de la ville. Que de chemin parcouru depuis trois jours ! Des paroles, il y a en a eu, de dites, de partagées, de débattues. Paroles des jeunes entre eux sur leurs représentations entre jeunes des villes et des campagnes, paroles d’habitants récoltées dans la rue et affichées… 140 jeunes, 145 habitants rencontrés. Des mots ont été prononcés. Forts. Des maux de la société aussi : difficulté de la rencontre entre générations, avenir sombre… Mais c’est aussi la richesse de cette jeunesse et de ces jeunesses qui s’est beaucoup exprimée. Une jeunesse qui doit prendre sa place, qui a du courage, qui est créative, et qui s’engage, comme le montre le réseau jeunes.
Créer pour raconter
Comment partager tout ce matériau, écrit, si riche et analysé par les jeunes ? L’imagination est encore au rendez-vous. Une dizaine de séquences sont travaillées : écriture de slam et d’un poème, mise en scène d’une pièce de théâtre, répétitions pour une émission TV, sondage préparé… Tout le monde est impatient de montrer aux autres sa production, et d’entendre celles préparées par les autres jeunes.
Après le déjeuner vite englouti, direction la salle des fêtes. Les affiches présentées sur des cordes à linge habillent la salle immense et lui donnent de la chaleur. Quand on entre, la couleur des panneaux et la force des mots frappent.
Humour contre stéréotypes
Allez, c’est parti. L’après-midi démarre par une émission tv. Des clichés envers la jeunesse sont débités par les participants de tous âges. Jeunesse fainéante, irrespectueuse, accros au téléphone… Le ton est donné. La séquence suivante oppose stéréotypes et contre-stéréotypes. La salle rit, jaune parfois, franchement d’autres fois. Il faut dire que les jeunes sont excellent comédiens.
Les paroles rapportées ne sont pas tendres non plus entre jeunes eux-mêmes, des villes et des campagnes : « C’est quand qu’on va en ville ? Ch’sais pas, le prochain bus c’est dans deux semaines ». Tout s’enchaîne. La salle est attentive, et très participative. Les commentaires vont bon train. On se reconnaît dans les propos, on est choqué par d’autres. Un quizz interroge les participants : quel est l’âge de la personne la plus jeune ayant répondu aux porteurs de parole ? 3 ans. Quelle part du PIB est dédiée à la jeunesse ? (« Mais c’est quoi le PIB », demande un participant) ? 2%. « C’est pas beaucoup ! ».
Le regard des adultes sur les jeunes est aussi questionné dans un slam : « Certains nous disent que nous sommes l’avenir de demain, d’autres que nous sommes le chômage de demain », « vous nous parlez de notre génération, mais est ce que nous on vous parle de la vôtre ? » Les jeunes interrogent aussi la société : « le système scolaire n’aide pas les jeunes en difficulté », « on n’a pas le temps de rêver, on veut passer à l’action mais le système, il va trop vite ». Et les médias et les infos en continu tournés en dérision.
Un poème interroge le manque de considération réelle envers les jeunes : « La jeunesse, rien n’est simple, on pourrait même se demander combien il faudrait de cheveux blancs pour être considéré ou reconnu. Tout le plaisir de vivre se tient entre leurs mains ».
Et maintenant ?
Une fois ces tranches de vie et ces regards posés, l’échange s’engage avec les élus, les habitants. Le dialogue n’est pas toujours facile : quelle place pour les jeunes dans un territoire ? Les conseils des jeunes c’est bien, mais pas suffisants, il faudrait faire en sorte que les jeunes soient réellement investis dans les territoires, et pas seulement qu’on les écoute de temps en temps. OK, mais comment on fait, alors ? Par quoi, on commence ? « On est aujourd’hui 150 au réseau Jeunes. Il faut nous médiatiser, et je vous promets, ça va tout changer, » réplique un jeune. « Dans les quartiers, on est tous mobilisés, mais personne ne nous écoute ! » reprend un autre. « Cela fait 4 jours que je me dis que pour qu’on réussisse, il faut qu’on construise avec les jeunes, que vous nous aidiez à monter les projets » reconnait Ghislaine Pieux, chargée de la jeunesse et du lien social à la mairie de Sens. » Ce dont on rêve c’est que vous repartiez avec des idées et que vous alliez vous faire entendre autour de vous, » résume Pascale, ancienne directrice d’un centre social à Sens.
Finalement, c’est peut-être ensemble, jeunes et adultes, qu’il faut avancer pour faire bouger les choses. Et pourquoi pas, comme le demandent plusieurs jeunes, en commençant par organiser des réseaux jeunes départementaux. Chiche ?
Ce soir, ambiance festive au lycée de Sens avec la méga-boum pour célébrer la fin de la 7ème édition du Réseau Jeunes. Demain matin, c’est l’heure du bilan et d’un dernier temps de travail pour imaginer le Réseau Jeunes de l’an prochain. Puis ça sera (déjà) l’heure du départ. Avec en mémoire, ces quelques mots d’une des pancartes : « L’avenir… il faut leur faire confiance, à ces jeunes. »