Depuis plusieurs semaines, le projet de réforme des retraites en cours de discussion à l’Assemblée nationale et au Sénat suscite réactions, débats et mobilisations dans la rue ou les médias.
Dans ce contexte, le conseil d’administration de la Fédération des Centres sociaux et Socioculturels de France (FCSF) tient à exprimer ses inquiétudes vis-à-vis de ce projet de réforme tel qu’il est présenté et débattu actuellement. Des inquiétudes nourries notamment par les conséquences de celle-ci sur les situations observées par les centres sociaux au plan local et vécues par les personnes.
Au quotidien, les centres sociaux agissent partout en France, en milieu urbain et rural, dans l’Hexagone comme en Outremer, avec les habitant.es de tous âges pour bâtir une société plus juste, plus humaine, plus solidaire. Par leur ancrage local, leur proximité avec les habitant.es, ils sont des baromètres précieux de l’état de la société. Acteurs de la transition démographique en cours, les centres sociaux agissent et portent une attention particulière pour que chacun.e – les seniors notamment – puisse vivre dignement, ait ou prenne sa place pleine et entière dans la société. Acteurs du lien social et de la rencontre entre les générations, les centres sociaux œuvrent depuis plus de 100 ans pour « faire société, ensemble ».
Un enjeu de justice sociale
Dans une société marquée par trop d’inégalités, sociales, économiques, culturelles… l’exigence de justice sociale doit sans cesse être affirmée et guider toute politique publique. En l’occurrence, la réflexion actuelle autour de la réforme des retraites ne doit pas être appréhendée par les seules considérations budgétaires, mais doit être avant tout animée par la vision de la société que nous voulons. Comment faire en sorte que ce projet de réforme des retraites n’accentue pas les inégalités déjà vécues par les habitant.e.s les plus vulnérables et fragiles dans la société ? Que les personnes ayant les parcours professionnels les plus longs, les plus fragmentés, les plus chaotiques ne soient pas pénalisées encore un peu plus par cette réforme ? Que les inégalités de situation face à l’emploi et aux salaires durant toute une vie ne constituent pas un facteur aggravant à cette période charnière de la vie ? Ces questions ont également un impact sur le champ d’activité associatif et social, lui-même marqué par des formes de salariat précaire.
Les principes de justice sociale et de dignité des personnes doivent être au cœur de cette réforme pour s’assurer que toutes et tous, quels que soient leurs parcours, puissent avoir un niveau de ressources satisfaisant, des conditions de vie décentes et accéder à la retraite en bonne santé. Replacer les enjeux de réforme des retraites à l’aune de la dignité et la justice sociale amène d’ailleurs rapidement à ne pas dissocier cette réflexion de celle, plus large, sur les conditions de vie, d’accès à l’emploi, d’égalité, de solidarité, mais aussi sur le rapport au travail, au temps et au temps libre.
Un enjeu pour une génération charnière… mais aussi pour toutes les générations
Les débats et analyses actuels tournent beaucoup autour des chiffres : durée de cotisation, âge légal de départ à la retraite, recettes et déficits… Ils sont importants, certes. Mais ces chiffres masquent tout un pan de la vie des personnes, et notamment leur contribution à la création de richesses et à la solidarité dans notre société. Richesses financières bien sûr, car les pensions de retraite sont sources de revenus pour les territoires et participent de l’économie de la société. Mais surtout richesses humaines ! Les seniors représentent une génération charnière, en soutien et accompagnement moral, logistique, financier et humain pour les générations précédentes (leurs parents) et futures (leurs enfants et petits-enfants). Les seniors sont également très engagés dans le bénévolat associatif et / ou dans la vie citoyenne et démocratique dans les territoires. Ressource pour la société, passeurs entre les générations, ils sont des acteurs fondamentaux d’une société qui mise sur le caractère essentiel de ses liens sociaux. Cette ressource inestimable mérite d’être pleinement prise en compte et soutenue. Pourtant, face à ce projet de retraite, force est de s’inquiéter des difficultés qu’auront les seniors à concilier plus longtemps vie active, soutien familial et engagements sociaux.
Loin de ne concerner que les générations qui s’approchent de la retraite, cette réforme mobilise et interpelle également la jeunesse. Il y a là une belle opportunité à saisir pour construire ensemble un pacte intergénérationnel, plutôt que de nourrir des oppositions stériles entre générations, de penser solidarité et place de toutes et tous dans la société plutôt que dette et égoïsme de générations.
Un enjeu démocratique
Enfin, cette réflexion de société devrait constituer une formidable opportunité d’exercice et de débat démocratiques. Trop essentielle pour être limitée à des « experts » et aux pouvoirs publics. Trop importante pour être circonscrite à quelques jours de débat parlementaire. Et si cette réflexion se traduisait par un bel élan de vitalité démocratique, associant réellement et dans la durée l’ensemble des acteurs de la société civile ! Là aussi, les centres sociaux – acteurs d’éducation populaire, animateurs d’espaces de rencontres, de dialogue et de débats – peuvent en témoigner. Les habitant.es aspirent à prendre la parole et à participer à la construction de réponses sur les sujets qui impactent leur avenir et celui de notre société.
Pour bâtir une société plus juste et solidaire et penser une société qui articule vie active et retraite, dignité et bonnes conditions de vie à tous âges, quel plus beau défi que de prendre le temps d’en débattre, de l’imaginer et de le construire toutes et tous ensemble ?