« Pour commencer, on voulait vous rappeler ce qu’est le réseau jeunes en général :
Le réseau jeunes, tous les ans, c’est 5 jours de rencontres entre des jeunes qui viennent de partout en France. On choisit une thématique en amont, et on fait des ateliers pour en discuter et en débattre. Pendant les 5 jours, ce qui nous marque le plus, c’est les rencontres. C’est aussi beaucoup d’enrichissement et de moments de partage. C’est intéressant qu’on soit entre jeunes, il a beaucoup moins de tabous pour pouvoir se parler, s’écouter.
C’est peut-être un truc de générations aussi. Le réseau jeunes, c’est aussi ne pas être d’accord. C’est ça le débat. On vient avec l’esprit ouvert, on apprend à débattre, notre pensée évolue face à celle des autres. On se rend compte qu’il y a autant de vérités que de pensées. Tout ça, ça permet de vaincre les préjugés. On arrive à être unis à travers nos différences, c’est un enrichissement, et pas une barrière. Parce que : ça servirait quoi un réseau jeunes si tout le monde était pareil ? Cet espace d’échanges permet de dire les choses sans que ça crée du conflit. Parce qu’on vient pour débattre.
Cette année, la thématique c’était les religions. Elle avait été choisie plusieurs mois à l’avance et on avait travaillé dessus avant. On s’était préparés, et on a continué à travailler dessus pendant les cinq jours. Dès le début, on nous a mis hyper à l’aise avec la thématique, malgré ce qu’il venait de se passer avec l’assassinat de Samuel Paty. Notamment grâce à la pièce de théâtre du premier soir qui nous a mis tous au même niveau. Ça a amené à plein de discussions entre nous, autour du lien entre les différentes religions par exemple. Le lendemain, on a continué à échanger grâce au débat mouvant. Ça a permis de partager entre nous des témoignages hyper forts. Certains en parlaient pour la première fois devant autant de personnes des discriminations qu’ils avaient vécues.
En fait, cet espace de rencontre, c’est le seul endroit extérieur où on nous dit « viens avec ta religion, viens en parler ». D’habitude, on nous dit ‘’ta religion tu la laisses chez toi’’, ça reste dans la famille. Ici, on peut parler de sujets personnels et intimes et venir comme on est. Avec toutes ces discussions, on avait d’autant plus hâte de partager le lendemain à la ministre le fruit de nos travaux. On a préparé toute la nuit la rencontre du lendemain, parce qu’on voulait vraiment que ça change. Le lendemain, c’était la restitution avec la secrétaire à venue de la secrétaire d’Etat à la jeunesse Sarah El Hairy. Là-dessus, on voulait vous parler de notre ressenti, et rétablir notre vérité. D’abord, il n’y a pas eu d’échanges avec Sarah El Hairy. Elle est arrivée avec ses idées, ses envies, il n’y a pas eu de rencontre. Pourtant on avait de grandes ambitions, des idées, des choses à dire, des propositions. Ça a créé de la déception, de l’incompréhension, de la colère, et un sentiment d’injustice. Elle a critiqué nos propos, elle a remis en question ce qu’on a dit comme si on ne l’avait pas vécu. On voulait vous raconter une anecdote qui montre à quel point on n’a pas été écoutés. Quand on a discuté avec elle, la secrétaire a dit : « je n’ai pas de baguette magique » .
On lui a répondu : « et pourquoi on ne la construirait pas ensemble cette baguette magique ? »et là, on n’a pas eu de réponse. A la fin, la ministre nous a fait chanter la Marseillaise. On était choqués. C’est vrai, une grande partie d’entre nous ne l’avons pas chantée. Cela a été répété dans les médias. Mais personne ne nous a demandé pourquoi : tout simplement parce que ça n’avait pas lieu d’être à ce moment-là. Après le discours de Sarah El Haïry, il y a eu plusieurs types de réaction entre nous. Certains ont pris le temps de réfléchir, de se poser. D’autres sont allés plus loin dans la critique, ont parlé avec le coeur… En même temps c’était important qu’ils puissent s’exprimer, c’était fort, significatif. Et les médias ils ont sauté dessus, ils se sont emparés de notre colère.
Après le réseau jeunes, il y a eu une inspection de la Fédération des Centres Sociaux. Il y a eu une remise en cause de la façon d’animer le réseau jeunes… En critiquant les animateurs, ça voudrait dire qu’ils nous ont manipulé. Ce que ça veut dire, c’est qu’on serait incapables de penser par nous-mêmes. Par la suite, on a aussi été choqué de ce qui s’est dit dans les médias : ils en ont fait un truc de « jeunes contre l’Etat, contre la République », alors que c’était pas du tout ça ! Certains articles nous ont rabaissé : ils ont évoqué nos tenues vestimentaires, ils parlaient de jogging, de voile, de « jeunes des cités ». Par « jeunes de cité », ils veulent dire « racailles », c’est ça le sous-entendu. Avec tout ça, ils ont créé une image négative de nous. Ce qui est dur, au final, c’est que ça nous décrédibilise, ça fait qu’on n’écoute pas nos propos… Moi au réseau jeunes j’ai a rencontré des gens incroyables, des belles personnes, et voir les médias salir ces personnes, ça me fait mal au cœur. Au-delà de ce Réseau Jeunes, on voudrait parler de notre engagement. Pour nous, ces espaces, il faut que ça continue encore plus fort, et pas que dans les centres sociaux. D’abord, on a besoin des centres sociaux et des fédérations au quotidien, parce qu’on a pas beaucoup d’espaces pour s’engager où on se sent écoutés. C’est pour ça aussi que des moments comme les Réseaux Jeunes sont hyper importants.
On a besoin que le réseau continue à mobiliser les jeunes, écouter notre parole, nous soutenir. C’est par le Réseau Jeunes qu’on se découvre ! Ça peut être hyper bénéfique, moi le réseau ça a changé ma vie. La convergence, les rencontres, ça fait bouger. Ça permet de se découvrir soi-même.En plus, ça nous renforce sur des choses pratiques comme la confiance en soi ou la prise de parole en public…On voulait remercier les centres sociaux de nous donner la parole, parce qu’on a besoin de s’exprimer, d’apprendre et de s’engager ailleurs qu’à l’école. En même temps, c’est dommage qu’on ne puisse pas parler de tout ça à l’école. On aimerait plus de liens entre les centres sociaux et l’éducation nationale. C’est pas normal que ça se croise pas, qu’on puisse nous dire à l’école que notre engagement ça sert à rien. Les centres sociaux ils veulent bosser avec l’école, nous on veut bosser avec l’école, il faut avancer là-dessus. On se dit qu’il faudrait plus d’espaces de rencontres et de débats sur les sujets qui nous touchent, dans les centres sociaux et ailleurs. Avec le Réseau Jeunes, on se rend compte qu’on a envie d’avoir plus de responsabilités. On veut être dans l’organisation et pas que dans la prise de parole. Dans certains réseaux jeunes locaux, les jeunes « moteurs » sont maîtres de leur temps. C’est bien que ce ne soit pas que les animateurs qui gèrent. Et ça ne concerne pas que le réseau jeunes ! On veut prendre plus de responsabilités partout. Vous nous dîtes : les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain. Dans ce cas, il faut nous accompagner à prendre la relève.
Au final, avec ce qu’il s’est passé à Poitiers, on voit qu’on a de la réflexion. Et ça, ça peut faire peur aux élus. Parce que eux n’ont pas cette expérience, ce vécu. Mais ils pensent quand même savoir mieux que nous. En fait, ils voudraient donner la parole à la jeunesse sans que ça fasse de vagues. Je voudrais dire à la ministre et aux élus : « Merci de bien vouloir nous écouter. Tachez de ne pas refaire les mêmes erreurs parce que nous on est déterminés à faire changer les choses, même moi une jeune ‘’mineure’’ comme vous dites si bien. » Cette expérience, elle nous montre qu’on n’est pas assez formé à parler avec les politiques et avec les médias, à savoir lire entre les lignes. On a été très naïfs, et c’est important de pouvoir mieux se préparer.
Ce qu’on dit là, ça s’adresse aussi à tous les adultes, ceux qui sont en place. On ne veut pas justes être entendus, on veut être écoutés. Pour finir on a une question : « Comment changer le monde si ceux qui sont au pouvoir restent têtus ? ».